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Le Blog de jlduret

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Pensez juste ou pensez faux mais pensez par vous-même ! Depuis Socrate, le devoir du penseur n’est pas de répéter la doxa du moment mais de la questionner. Sans cette liberté d’exprimer opinions et pensées, point de démocratie.


Jusqu'où ira la soumission qui nous est imposée ?

Publié par jlduret sur 17 Novembre 2020, 21:34pm

Catégories : #Soumission

Jusqu'où ira la soumission qui nous est imposée ?
Jusqu'où ira la soumission qui nous est imposée ?Jusqu'où ira la soumission qui nous est imposée ?

JEU DE MAUX

Claude Leger eu tout à coup un sentiment inconnu, comme si son auditoire lui devenait petit à petit hermétique, étranger pour un nombre de plus en plus important de ses élèves. Ses cours, d’habitude très suivis et qu’il animait souvent avec humour, bien que fort documentés, voyaient progressivement des participants disparaitre après une phase où son discours parut de moins en moins recueillir l’attention de l’auditoire. Bien sûr cela prit plusieurs années, tout à coup la réalité se fit jour quand il ne resta plus sur les gradins que quelques élèves épars dont le regard s’éteignait.

Certains, après un conciliabule auprès d’autres étudiants manifestement agités, quittaient l’amphi en baissant la tête, comme pris en faute ou craignant l’exclusion du groupe qu’ils fréquentaient habituellement à la cafétaria. Le phénomène était particulièrement net en ce lieu où tous avaient l’habitude de se retrouver : Les déserteurs de son cours étaient bien là mais l’évitaient avec ostentation. Lui-même cherchait bien à reprendre contact en ouvrant la discussion sur les problèmes de l’époque, l’air de rien, pour comprendre, mais il n’avait en retour que des voix monocordes, comme détachées du réel, hypnotiques et répétitives : « ancien monde » « ancien monde » répétaient-ils sans arrêt comme une liturgie obsédante de procession incantatoire.

Il crut défaillir à ce constat : Ses élèves avaient perdu le sens des réalités objectives, qui ne tiennent ni de l’ancien ou du nouveau, et il se sentait menacé lui-même dans ses convictions, voire dans son statut, rejeté qu’il était par son entourage.

Car cela ne s’arrêtait pas là : de retour chez lui il sentit encore une fois ses enfants anormalement absorbés par les réseaux sociaux, très critiques à son égard, manifestant même une certaine hostilité lorsqu’il exprimait les convictions dont son éducation l’avait imprégné.

Cela l’amena à s’en ouvrir à ses collègues qui pour la plupart lui firent les mêmes réponses stéréotypées, avec un sentiment de soumission atone, ou de culpabilité, comme des enfants pris en défaut. Les rares qui le tenaient encore pour ami s’excusaient de ne pouvoir exprimer le fond de leur pensée de peur de perdre leur poste.

Le mal diffusait doucement d’autant que sur les ondes la ritournelle accusatrice et monotone se répandait « ancien monde » « ancien monde ».

Il perdait pied et le réel lui sembla évanescent. Lui qui avait sans cesse proposé comme modèles l’esprit critique et l’humour, qui mettaient à distance les certitudes, se trouvait pris au piège de la soumission et de l’intolérance.

Mais qu’avait donc l’ancien monde ?

N’avait-il pas mené une bataille salutaire, au moins respectable, contre les maladies, la faim, l’illettrisme, l’obscurantisme, l’esclavage, l’ignorance, les droits de l’Homme…

Un détail dans cette revue attira cependant son attention : dans ce catalogue n’apparaissait plus ce qui avait pendant des siècles structuré la société et qui répondait à une nécessité humaine : la réponse à une quête de sens. Cette réponse, véhiculée auparavant par la religion se trouvait portée par une autre forme de vecteur immatériel dont on pensait pouvoir remplir sa vie par le biais des ondes électromagnétiques. D’autres mythes se mettaient en place et tenaient lieu de vérités intangibles, issues de constructions psychologiques ou intellectuelles apparemment idéales. La réponse aux besoins de l’existence procurée par l’économie du travail semblait rejetée comme l’enfant gâté jette son jouet. L’Idéal prenait le pas sur le réel et le possible. Et rien ne semblait devoir l’arrêter, ni la rigueur, ni le bon sens, ni le respect de l’autre et de ses opinions, ni le doute si fondateur, ni l’humour si décapant, la légèreté n’étant plus de ce temps. Ne pas accepter cet idéal sociétal convenu, ce masque protecteur du risque, c’était prendre la responsabilité de la destruction. L’heure était grave, du moins semblait il qu’il fallait qu’elle le soit.

Il comprit alors que la peur avait conquis la société et que tous les repères issus de son éducation avaient sauté.

La liberté en premier puisqu’il fallait bien qu’une autorité fasse preuve de sa responsabilité en prétextant la précaution. Il fallait se soumettre.

L’esprit critique bien sûr, voire le bon sens animé par le doute, qui pouvait amener la rébellion.

L’esprit d’entreprise et de conquête qui nécessitait de prendre des risques.

Le respect de l’autre et de ses opinions qui sous-entend la possibilité d’une erreur personnelle.

La primauté des faits sur les prévisions et les opinions.

Un certain sentiment de modestie de l’homme face aux forces naturelles et cosmiques qu’il ne maitrise pas.

La grandeur d’âme à ne pas confondre avec l’arrogance et qui permet le détachement.

Le monde avait basculé dans l’irrationnel et la petitesse d’esprit précautionneuse qui est peut-être le dernier refuge de l’angoisse de vivre, faute de sens. Voir large et avec hauteur semblait le dernier stade de l’inconscience.

Il songea que les plus hautes sommités de son établissement pourraient l’éclairer et lui montrer qu’il se faisait des idées. Il n’eut pas le temps de prendre rendez-vous car le doyen l’avait déjà convoqué pour lui signifier son exclusion : « Vous comprenez, ce n’est plus possible, le monde a changé et les défis qui s’annoncent ne permettent plus la distance que vous prenez avec la gravité de la situation. Il faut être responsable et agir avec sérieux en transmettant à votre auditoire les injonctions des autorités. Votre attitude légère face aux dangers qui sont annoncés est insupportable. D’ailleurs je suis en cela l’avis du conseil scientifique ».

Il n’eut pas le temps non plus de lui faire préciser la nature et l’importance de ces dangers qui ne lui semblaient pas se matérialiser formellement de manière significative par rapport à l’habitude. La sanction était sans appel. D’ailleurs il s’approchait de la retraite ce qui facilita les choses.

Heureusement il avait gardé quelques contacts avec des collègues dont il s’aperçut avec bonheur qu’ils partageaient son sentiment à savoir qu’il fallait maintenir le cap de la raison et de l’humour pour garder quelque dignité sans verser dans la peur irraisonnée qui semblait avoir conquis son pays, ses médias, ses dirigeants et son peuple pusillanime. 

Ragaillardi par leur discours il leur demanda de s’exprimer publiquement. Mais, risquant eux aussi de perdre leur place, ils déclinèrent l’invitation. D’ailleurs cela était sans importance car aucun journal ou chaîne de télévision n’avait l’intention de les publier. L’heure était à l’omerta car à la peur de la Catastrophe s’ajoutait la peur de sortir de la pensée convenue et désormais obligatoire. 

Il assistait à un retour de la novlangue politiquement correcte.

Et toute cette soupe confuse dans laquelle baignait désormais la pensée générale était principalement déclinée à coup d’idées prémâchées, de clichés, par les plus jeunes générations dont on connait de tout temps l’exaltation dans l’idéal du bien. 

Il essaya, en bon professeur, de remonter aux origines de cette mode essentiellement négative et tellement irréaliste qu’elle avait besoin de s’imposer par une puissance morale sans égale : la honte de passer pour un imbécile.

Aussi loin que portaient ses souvenirs il ne nota qu’un seul évènement fondateur suffisamment fort pour bouleverser la société dans laquelle il avait évolué jusqu’alors avec bonheur et confiance : Ce qu’il prenait pour le bonheur de vivre était perçu par certains à l’époque pour un ennui profond auquel il convenait de mettre fin en manifestant violemment contre toute interdiction. C’était bien à ce moment que la démolition avait commencé et que les digues avaient sauté pour en arriver à l’obligation morale de se soumettre qui s’était répandue inexorablement. L’ancien monde était condamné par la honte de s’opposer à la nouvelle idéologie de la déconstruction et du retour à la nature. L’avenir étant à la jeunesse il aurait fallu beaucoup d’inconscience pour l’injurier et les intellectuels ne s’y bousculèrent pas.

La suite il la connaissait maintenant avec son cortège de manifestants lycéens, très ignorants pour la plupart, mais exaltés comme il se doit, prétextant la protection de leur avenir en contestant l’ancien monde avant de faire l’apologie de temps encore plus anciens, sans y voir le paradoxe mortifère. Et, en tête de file, les passionarias ne manquaient pas, exprimant l’horreur de l’économie machiste productiviste. Il n’était pas dupe non plus du nombre de politiciens pratiquant la récupération indignée ou la précaution aveugle pour s’assurer de leur électorat et le rassurer quoiqu’il en coûte, curieusement en lui annonçant tous les jours l’apocalypse en marche.

Le changement était devenu l’objectif indépassable et s’accompagnait du rejet des responsables en place, ce rejet devenant la norme jusqu’à épuisement des compétences. Tout le problème était de savoir vers quel objectif raisonnable ce changement pouvait tendre. On fit bien illusion démocratique en tirant au sort les pythies qui allaient résoudre cette question mais il n’en sorti que des banalités ou des visions mystiques. Le changement pour le changement dans une spirale antinomique l’un changeant l’autre jusqu’à l’absurde…

Bref, tout cela ne manquait pas de contradiction et d’absurdité, mais paraissait inexorable et totalitaire.

C’est alors qu’il entendit une sonnerie à sa porte et qu’il vit par l’œilleton deux hommes, en pardessus noirs et chapeaux, venus le chercher…

C’est aussi à ce moment que son réveil sonna.

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